La pyramide de Maslow aurait-elle mis en péril notre subjectivité ?

La hiérarchisation des besoins de Maslow est encore un outil largement utilisé en marketing et management malgré que cette pyramide ait été largement remise en question. Pourquoi et quelles sont les conséquences possibles du maintien de cette vision des besoins de l'être humain sur notre mental ?

COMPRENDRE

Céline Naud Psychanalyste

4/11/20248 min lire

maslow nous aurait-il fait perdre une part de notre subjectivité ? Psychanalyse et réflexion
maslow nous aurait-il fait perdre une part de notre subjectivité ? Psychanalyse et réflexion

La théorie de la pyramide des besoins de Maslow a longtemps été un pilier dans la compréhension des motivations humaines. Cependant, une observation attentive a révélé des nuances qui ont remis en question sa véracité et sa simplicité. Mais malgré cela, il semble que les managers et les équipes marketings soient sourdent à cette remise en question et au vu du nombre d'articles et des posts faisant référence à cette théorisation des besoins, je dirais que la société peine encore à se détacher de ce concept.

Pourquoi une telle réticence et quelles pourraient être les conséquences sur notre mental ?

Une schématisation qui n'est pas l'oeuvre de Maslow.

La hiérarchisation des motivations des êtres humains a été élaborée dans les années 1940-50 par le psychologue Maslow mais personne ne sait réellement qui a créé cette pyramide ? Ce qui est sûr c'est que ce n'est pas Maslow lui-même et l'on ne peut que regretter cette représentation schématique qui a simplifié grandement la lecture de cette théorie. Maslow parlait lui-même que les besoins primaires pouvaient bouger suivant les individus. Mais ce qu'il en est resté, c'est une pyramide figée qui a servi de base au marketing, au management et au développement personnel depuis plus de 50 ans. 

Il est étonnant de constater que certaines théories qui touchent le domaine de la psychologie et de la psychanalyse ont du mal à évoluer malgré les décennies de recherches. Pourtant les théories ne sont que des théories et nous savons qu'elles ont besoin d'être peaufinée, retravaillée, d'évoluer avec la société et de se coupler avec les découvertes scientifiques ? Nos résistances au changement seraient-elles à l'oeuvre ici ? Il est vrai qu'au bout de 50 ans d'utilisation d'un outil, se dire qu'en réalité ce n'était pas pertinent et que nous avions tort peut être compliqué. Et puis, par quoi le remplecerions-nous ? Comment créer une campagne de pub ou des profits si nous laissons tomber cet outil et laissons le gens libre de choisir de quoi ils ont besoin ?

Une simplification qui fait grincer des dents.

Pouvons-nous théoriser le comportement humain et donc anticiper ses besoins ?

Ce qui complique grandement l'analyse, c'est que nous travaillons sur du vivant, ce qui signifie que rien n'est fixe, les informations changent, fluctuent en permanence. Il faudrait donc figer la personne à un instant T pour l'analyser. 

Ensuite l'être humain est complexe car en plus de ses caractéristiques physiques il va falloir prendre en considération sa croyance, son histoire, l'histoire de sa famille, l'histoire de ses parents, ses rencontres, sa religion, la société dans laquelle il vit, etc. Pour analyser le comportement humain il faudrait donc prendre en compte une multitude de données, ce qui serait énorme et peut-être irréalisable, car nous risquerions d'en oublier. Pour analyser un comportement, on va donc simplifier et ne prendre que certaines caractéristiques pour regrouper les individus en catégorie et en déduire une probabilité de comportement en fonction de ce que nous aurons observé.

Donc, on fige une personne et l'on ne prend qu'une partie de ses caractéristiques. Dans ce cas-là, est-ce que nous pouvons en déduire un comportement, ne serait-ce pas plutôt, à ce niveau-là une prédiction ? Et le mot a toute son importance car cela voudrait dire que nous jouons au "voyant". 

L'environnement change les prédictions.

C'est l'épigénétique qui nous le dit. Les scientifiques ont constaté que des jumeaux pouvaient développer des caractéristiques différentes, suivant leur environnement. Donc, nous pourrions inclure également l'environnement de la personne à une étude du comportement.

Il n'est pas question ici d'enlever la contribution de Maslow à la psychologie mais de vous inviter plutôt à remettre en question les normes sociales et à explorer leurs propres aspirations au-delà des catégories établies par cette pyramide.

Si Maslow devait faire aujourd'hui les mêmes études et analyser le comportement des personnes, je pense que ses résultats seraient différents, déjà car le contexte n'est plus le même mais surtout parce que nous avons plus de 70 ans de recherches et de réflexion supplémentaire. Les mentalités ont changé, si nous remettons dans le contexte le travail de Maslow, on peut imaginer que lui-même a pu être influencé par la hiérarchisation entre les sexes, les races, les classes sociales, etc.

Le visage de la société a changé depuis 1950 mais est-ce que c'est le visage de cette société qui a changé ou est-ce que l'être humain a toujours eu des aspirations plus profondes que celui de se mettre en sécurité ? L'homme des cavernes ne dessinait-il pas et ne créait-il pas des objets décoratifs ? De tout temps on constate que les civilisations à travers le monde ont toujours eu une attirance pour des choses considérées comme "non-essentielles" malgré une vie laborieuse et pleine de danger, de quoi se poser des questions sur cette hiérarchisation des besoins en forme de pyramide mais aussi sur ses différentes catégories.

Pouvons-nous théoriser et donc prédire le comportement humain ?

Comment donc pouvons-nous prévoir un comportement sachant qu'un individu change puisqu'il fait partie du vivant ?

Une autre réflexion s'impose, sachant que notre cerveau est modelable, il est juste de se poser la question de savoir si en prédisant ses besoins nous n'avons pas plutôt influencé les besoins de l'être humain ? En marketing les personnes savent parfaitement qu'il faut créer le besoin, peut-être que cette course aux profits a participé à faire perdre les repères aux personnes et à faire de notre société une société malade, stressée, dépressive, au bord du burnout.

article psychologie et psychanalyse
article psychologie et psychanalyse

Réflexion

Remise en Question de la théorie :

J'ai été interpellé par un article dans le journal Le Monde du 10/04/2024, dans lequel il est question des militaires ukrainiens qui recherchent l'amour malgré qu'ils soient au front. Ces militaires recherchent à se valoriser dans le regard de ses femmes. Nous voyons donc que malgré les conditions de danger imminent, des individus cherchent toujours à donner du sens à leur vie, à établir des relations sociales significatives, au-delà des besoins physiologiques et de sécurité.

Je constate également en thérapie et je l'ai aussi constaté pour moi durant mes années sombres, que la notion de sens est très importante au-delà des difficultés financières. Avoir une place dans la société, être reconnu-e pour qui l'on est, donner du sens à sa vie est tout aussi important que sa survie physique. Parfois même, les gens n'hésitent pas à se mettre en danger pour de l'amour ou une reconnaissance, il n'y a qu'à voir dans les tribus avec leur rituel de passage ou dans les entreprises avec le burnout des salariés. 

Il ne faut pas perdre de vue que notre cerveau est une machine à "reconnaissance de formes", c'est-à-dire qu'il utilise un modèle pour établir des prédictions sur ce qu'il va se produire et si les prédictions ne correspondent pas, le cerveau produit une substance qui alerte et qui va permettre de remodeler le modèle de base pour qu'il corresponde à ce que la réalité nous montre. Et c'est peut-être là que le bât blesse. Ne serions-nous pas tenté à faire rentrer les gens dans une catégorie pour que nos prédictions correspondent bien ? N'avons nous pas modelé la société en fonction des attentes de cette pyramide des besoins, omettant de prendre en considération les exemples qui ne fonctionnent pas.

Cette simplification des besoins humains ne nous a-t-elle pas amené à une dépression collective ? Les publicitaires, les manageurs, et j’aurais envie de dire toute la société avec les films, les mots et les images employées sont autant d'injonctions qui peuvent créer des conflits internes, une perte des repères, une confusion sur ses aspirations profondes, si celles-ci ne correspondent pas aux attentes que la société a de nous face une situation donnée : « tu as besoin de …. », « tu dois faire …. », « il faut …. »

Au-delà des profits financiers, n'y aurait-il pas une nécessité également, à laisser les gens en bas de cette pyramide ? Nous avons besoin de nous comparer en permanence pour savoir où nous nous situons, ces comparaisons sociales sont une manière pour les êtres humains d'évaluer leurs opinions, d'une part, et leurs aptitudes, d'autre part. Il y a donc une nécessité pour tout être humain à laisser quelques personnes en-dessous d'elle. 

Il y aurait-il un danger à penser par soi-même ?

La théorie de la comparaison sociale de Léon Festinger Psycho-sociologue :

- Comparaison latérale ; observer ceux qui sont comme nous, permet de se sentir dans la norme.

- Comparaison descendante ; observe les profils considérer comme en dessous de soi, ceux qui n’ont pas de contact, ça renforce l’estime de soi.

- Comparaison ascendante ; profil au-dessus, team leader, permet de s’améliorer.

Alors pourquoi malgré les incohérences, garde-t-on cette échelle des besoins ?

Une quête de sens qui ne doit pas être volée à une partie de la société.

Il est essentiel de reconnaître que la quête de sens, la reconnaissance ou encore l'accomplissement personnel sont omniprésents dans toutes les strates de notre société. Ces recherches peuvent se manifester de différentes manières et sont propres à chacun suivant son histoire.  Ces différentes quêtes sont des moteurs puissants qui transcendent les besoins basiques énoncés par Maslow. La recherche de sens peut même prévaloir sur les besoins primaires lorsque ceux-ci sont menacés.

Cette façon de voir les choses peut nous pousser à imaginer que certaines personnes ne désirent pas ou ne peuvent pas s'élever intellectuellement ou spirituellement et le risque serait de hiérarchiser les populations en fonction de leur situation. Il est intéressant de constater que cette façon de hiérarchiser les personnes a du mal à être éradiquée et qu'elle peut se cacher sous différentes formes.

Nous pouvons inconsciemment faire des choix même au niveau politique qui maintiendraient des personnes en bas de cette pyramide en les empêchant de pouvoir faire des choix. C'est important je pense que nous soyons vigilants à cette manipulation qui peut s'opérer malgré nous. Personne n'est à l'abri des idées préconçues qui sont ancrées en nous et dans la société.

penser par soi-même, psychanalyse
penser par soi-même, psychanalyse

Conclusion

En remettant en question les paradigmes établis, nous ouvrons la voie à une compréhension plus riche de nous-mêmes et du monde qui nous entoure et permettons à rendre l'être humain Sujet de sa vie.  Il n'est pas question ici de remettre tout en question mais plutôt de se questionner et de garder un esprit critique car ce sont les critiques qui nous font avancer.

Je vous encourage à lire ou écouter différents points de vue pour vous faire votre propre opinion, au risque de laisser les autres penser et agir à votre place.